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Fiche 9 : Les autres pistes de valorisation des sargasses

AFAI HUE 12 DEC 2022

Une mer d’opportunités

Les sargasses continuent chaque année de proliférer et d’envahir les côtes de la Caraïbe, de l’Afrique de l’Ouest et des États-Unis, l’on compte en moyenne 3 millions de tonnes supplémentaires de sargasses en mer par an et par rapport à l’année précédente.

Contrairement à certaines ressources naturelles qui s’amenuisent comme le bois, l’enjeu de la valorisation de l’algue est majeur puisque la ressource augmente et nuit. Toutefois le caractère aléatoire des échouages demeure un handicap pour des plans de développement et de financements qui nécessitent une certaine stabilité. Citoyens, associations, collectivités, états, entrepreneurs, tous s’organisent et construisent des projets à leur échelle.

Pate-de-sargasse-St-Barth

La pâte de sargasse et ses débouchés

A Saint Barthélémy, « Sargasse Project » nait de la volonté d’un homme, Pierre Antoine Guibout, d’utiliser cette matière première nuisible pour la convertir en biomatériau utile et écologique, le tout en économie circulaire.

Face aux échouages de plus en plus importants, Pierre-Antoine commence les essais sur les échantillons d’algues dans sa cuisine, avec cette idée première de les réduire en poudre pour les intégrer à du cirage. Peu concluants, l’idée est abandonnée pour celle de la fabrication d’une pâte à base de sargasse, fabriquée selon des procédés précis : la récolte, le séchage, le broyage et l’alliage avec l’alginate et la cellulose contenue dans les algues. Future base aux diverses utilisations possibles : papier classique, papier carton absorbant pour métaux lourds, papier carton anti bactérien, emballage alimentaire, matériaux de construction (la pâte compressée peu résister à 10 bars de pression, capacité similaire à celle du bois) voire du papier monétique (dans la mesure où les ions métalliques rendent le papier infalsifiable). La fabrication de ce papier ne sera pas assurée par « Sargasse Project » mais bien par les nombreux industriels intéressés par le projet. Une optique prometteuse d’autant que le rendement est bon, 500 kg d’algues fraîches permettent d’obtenir 250 kg d’algues séchées et autant en pâte. 100% biosourcée et écologique, la pâte de sargasse aux potentiels multiple séduit de plus en plus. Deux ombres au tableau, la gestion encore difficile du plomb capté par les algues : si les métaux lourds peuvent être dégradés, le plomb fait exception à la règle bien qu’il puisse être rendu inerte. Par ailleurs, l’inégalité des échouages contrarie les étapes de production et de développement du projet au niveau industriel.

Process-pate-de-papier-St-Barth
Process-pate-de-papier-St-Barth

Au Mexique, d’autres ont eu cette idée de fabriquer du papier à base de sargasses mais de manière plus artisanale. Victoria Morfin, jeune femme de 18 ans, a décidé de se lancer à force de conviction dans la valorisation des sargasses avec le souci de respecter son environnement.

Les premiers tests réalisés avec l’aide de sa mère ont pris du temps, Victoria s’est auto formée en ligne, mais ils sont finalement concluants et en un an, « Sarganico », entreprise familiale donc, a utilisé près de 12 tonnes de sargasses. La collecte est réfléchie et raisonnée, puisque sur ces 12 tonnes de sargasses récoltées en 2018, 10 tonnes de sable ont été extraites et rendues à la plage, l’objectif étant de limiter au maximum l’impact de la collecte sur l’érosion des sols. Le papier de « Sarganico » séduit et une imprimerie de la région, Grupo Regio, s’est déjà associée au développement et à la commercialisation de ce papier innovant.

papier sargasse

Du plastique non polluant

Les chiffres parlent d’eux-mêmes, chaque année près de 8,3 milliards de tonnes de plastiques sont produites, 500 kilos par minute terminent dans les océans, et les littoraux les plus inaccessibles sur terre donc les plus préservés, sont aussi touchés par cette pollution d’ampleur. Pourtant, l’on constate que les investissements dans l’industrie pétrochimique et plasturgique grandissent d’années en années, augmentant de fait les quantités de production.

Depuis 2011, une équipe s’active pour trouver des solutions et produire du bioplastique, c’est à-dire du plastique constitué à partir de biomasse et donc 100% naturel. Algopack, entreprise malouine (Saint Malo, Bretagne) menée par un ancien ingénieur de l’industrie plasturgique est fondée sur ce constat catastrophique de pollution massive. L’idée est de développer des matières ayant un impact positif sur l’environnement, la Bretagne faisant face depuis longtemps aux invasions d’algues vertes et étant l’une des régions pionnière dans la gestion de celles-ci. Depuis 2011 et les arrivées en quantité des algues sargasses dans la Caraïbe, Algopack travaille à leur valorisation. Pour cause, les sargasses sont des biomasses plus fibreuses que les algues vertes et leur teneur en eau est bien moindre (de l’ordre de 90 à 98% en moins). Aussi, les polysaccharides (les sucres) contenus dans les algues, assurent une meilleure stabilité dans le processus de valorisation de celles-ci.

En 2018, la formule scientifique est trouvée, les sargasses peuvent être valorisées en bioplastiques. Aujourd’hui, la société développe une chaîne pilote allant de la protection des populations en évitant les échouages (pose de barrages entre-autres), à la valorisation de la matière en passant par la collecte, le prétraitement, et la transformation de l’algue en bioplastique.

Bioplastique-algeanova-Rep-Dom

Au Mexique, les scientifiques* de l’« Universidad Autonóma Metropolitana » d’Azcapotzalco (État de Mexico, Mexique) dont les recherches consistent à obtenir un polymère (autrement dit plastique) naturel et compostable à base d’amidon, de cellulose et d’alginate extraits de sargasses, obtiennent des résultats très satisfaisants. Ce polymère naturel révèle des capacités similaires au plastique conventionnel, avec cet avantage qu’il ne pollue pas et se dégrade naturellement et plus rapidement même que le carton. Les techniques de fabrication de ces bioplastiques à base de sargasses sont très poussées (bien qu’encore au stade de recherche et de développement) et se déroulent en deux étapes : la première consiste à extraire les alginates de sodium des sargasses par infrarouge, la seconde aborde l’agglomération de la cellulose et de l’amidon. Toute une série de procédés sont appliqués : le lavage des algues collectées, leur séchage, les mélanges, les extractions d’acides, les filtrations, les phases de solidification, et les additions d’ions de sodium.

Ces bioplastiques ont les mêmes applications que le plastiques conventionnel, ils peuvent être utilisés pour l’emballage alimentaire (les métaux lourds auront été neutralisés), servir de matériaux pour l’industrie automobile, le mobilier etc…, à la très grosse différence qu’ils sont neutres en carbone pendant tout leur cycle de vie. Les assiettes de sargasses qui ont été fabriquées pour les expérimentations révèlent par exemple que leur durée de vie égale celle des assiettes en plastique conventionnel, ont la même résistance, plus de flexibilité et leur apparence est similaire.

Concernant leur dégradation, les caractéristiques ne sont pas comparables dans la mesure où l’on note qu’une assiette en sargasse subit l’action des micro-organismes qui la dégradent en six semaines, quand les assiettes en carton mettent entre 2 et 5 mois à se dégrader, et les assiettes en plastique conventionnel entre 100 et 1000 ans.

Bioplastique-aleanova-Rep-Dom

*García Martínez Katia et Sanchez Fuentez Cinthia Erika, département de l’ingénierie des systèmes environnementaux ; Salazar Cano Juan Ramón, département de biophysique ;
FICHE 9 : LES AUTRES PISTES DE VALORISATION DES SARGASSES Gómora Herrera Diana Rosa, Institut Mexicain du Pétrole ; Sanata Cruz Alejandra, département des sciences fondamentales.

Des molécules de sargasses pour soigner ?

Comme pour les solutions de valorisation des algues, la recherche avance dans l’utilisation des molécules de sargasses pour de potentiels traitements des maladies graves, avec des premiers résultats fructueux. Les premières pistes concernent notamment l’utilisation de molécules dans les cas de pathologies comme le cancer du poumon, le VIH ou l’Alzheimer. Cependant, ces projets coûtent cher, le projet concernant le cancer du poumon ou l’Alzheimer étant estimé à 750 000 euros.

L’Agence Nationale de la Recherche (ANR), avec la Collectivité de Martinique (CTM), la Guadeloupe, la Guyane et le Brésil mobilisent les fonds internationaux pour soutenir la lutte contre les sargasses et la recherche médicale.

Au Portugal, les chercheurs du département de chimie de l’Université de Porto partis du constat que les populations consommant beaucoup d’aliments d’origine végétale présentent des taux plus réduits de cancers, ont identifié la sargasse comme étant très prometteuse, dans la mesure où certaines de ses molécules peuvent agir contre la mort cellulaire et certains dommages faits à l’ADN. Les recherches doivent encore se poursuivre.

Sources

Université Virtuelle de l’Environnement et du Développement Durable
guadeloupe.gouv.fr
Holdex Environnement
Elcaribe.com
Les Echos
Sciencepost.com
www.respectocean.com

Interreg Caraïbe
ANR
Algopack
Ocean Legacy
Université des Antilles
Revista Tendencias en dociencia e investigación en química
Universidad Autónoma Metropolitana de Azcapotzalco