Fiche 11 : Les impacts sur l’environnement
Les sargasses : pollution des littoraux croissante…
Depuis 2011, les quantités de sargasses en mer augmentent avec un point d’orgue en 2018, année durant laquelle les scientifiques ont enregistré une ceinture d’algues longue de 8500 kilomètres reliant le continent Africain à la Caraïbe : l’on parle alors de continent vert ; puis en 2021 où la quantité d’algues a dépassé celle de 2018.
Si les risques sanitaires et économiques sont bien connus puisqu’impactant directement la vie quotidienne des habitants et des professionnels travaillant sur les littoraux, les risques environnementaux sont encore en train d’être définis.
Les algues qui arrivent par milliers de tonnes sur les côtes de la Caraïbe, ravagent les littoraux sur lesquels elles s’échouent. Pourtant, les littoraux caribéens ont une biodiversité extrêmement riche, et se caractérisent notamment par trois écosystèmes connectés ou interdépendants : les mangroves, les herbiers phanérogames (des herbiers composés de plantes dont les caractéristiques sont similaires aux plantes terrestres, composées d’un système racinaire, de tiges, de feuilles, de fleurs et de graines mais lesquelles se sont adaptées à la vie aquatique) et les récifs coralliens.
Ces trois écosystèmes sont le seuil d’une biodiversité animale et végétale riche, des zones de refuges, de reproduction et d’alimentation pour des espèces rares et fragiles et qui interagissent avec leur milieu. Au-delà d’abriter des espèces animales, la flore et ces écosystèmes de manière plus générale jouent un rôle particulièrement important pour la préservation des littoraux dans la mesure où ils préservent les côtes de l’érosion et jouent un rôle d’épurateurs des eaux.
En stagnant dans les mangroves et à proximité des herbiers, les sargasses privent d’abord ces milieux de lumières et d’oxygène (l’oxygène amené par le remous de la houle), atrophiant complètement les racines et éloignant la vie faunistique. Le nombre de milieux côtiers touchés par les surcharges de sargasses augmentent constamment.
…et danger en mer
Les radeaux de sargasses représentent un abri pour différentes espèces de faune marine, et notamment des poissons lions (ou rascasses volantes), espèce venimeuse et invasive qui vampirise les écosystèmes dans lesquels l’espèce s’est durablement installée. Le poisson lion n’a pas de prédateur connu, et se nourrit de juvéniles d’autres espèces. Conséquence, l’on mesure jusqu’à 10 millions d’euros de perte économique par an dans toute la Caraïbe, essentiellement dans le secteur de la pêche.
En constant mouvement grâce aux vents et aux courants, les radeaux d’algues peuvent être très denses (jusqu’à 10 mètres de profondeur mesurés pour certains radeaux). Ainsi, la lumière passe difficilement au travers et n’atteint plus certains fonds marins, notamment les zones à forte présence de coraux. Or les coraux, comme les herbiers, tous deux essentiels à la vie en mer et sur terre vivent grâce à la photosynthèse (un processus bioénergétique qui permet de synthétiser la matière organique grâce à l’énergie lumineuse) et ont donc besoin de cette lumière dont les sargasses les privent, conduisant souvent à leur blanchiment et à leur mort. Au Mexique en 2019, les chercheurs de l’Université Autonome Nationale du Mexique a comptabilisé la mort de 72 espèces de coraux à Puerto Morales, directement liée à l’invasion des sargasses.
Par ailleurs, les sargasses transportées par les courants et les vents peuvent parcourir plusieurs milliers de kilomètres avant de s’échouer sur les côtes caribéennes. Les scientifiques qui étudient la question pensent très probable que les algues en arrivant de l’ouest africain jusque dans la Caraïbe, apportent également des micro-organismes, des crustacés et d’autres espèces de faune marine originaires d’Afrique, et donc que les sargasses introduisent de nouvelles espèces que l’on ne trouve normalement qu’à proximité du continent africain. Les radeaux empêchant le passage de la lumière dans l’eau, ils peuvent également priver la faune aquatique d’oxygène évidemment indispensable à leur survie.
Autant d’impacts dévastateurs, il est cependant à noter que la mesure de ceux-ci reste difficile, tous les impacts ne sont probablement pas encore connus des scientifiques. Certains parlent de « zones mortes » puisque devenues anoxiques, c’est-à-dire complètement privées d’oxygène et où la vie aquatique n’est plus possible, mais il est encore difficile de relier cela aux sargasses bien qu’à priori elles y contribuent très fortement.
En radeaux, des lieux richissimes de vie en haute mer
Au-delà de n’être qu’une menace, les scientifiques ont découvert que les radeaux d’algues en mer pouvaient aussi abriter une vie marine tout à fait remarquable. Pour cause, les algues entremêlées font vivre une étonnante variété d’organismes qui s’y abritent et s’en nourrissent, des petits poissons aux hippocampes, en passant par les crabes, les crevettes, et les escargots de mer. Ce sont des chaînes alimentaires complètes qui s’y trouvent, avec les poissons adultes comme la carange ou les tortues, mais aussi les requins (dont les grands requins blancs) et les thons qui viennent s’y nourrir.
En tout, les alevins et juvéniles de 122 espèces de poissons viennent trouver refuge dans les radeaux de sargasses, lesquels sont aussi des lieux de pauses sur le trajet des espèces migratrices. Ces mêmes espèces migratrices qui, après un voyage de plusieurs milliers de kilomètres, viennent s’y nourrir ou pondre comme les fragiles anguilles (européennes et américaines), les raies, les tortues ou les baleines.
Certaines espèces d’oiseaux piscivores viennent également s’alimenter, quand les oiseaux de haute mer nichent sur les radeaux. Autant de vie liée à la mer et aux radeaux de sargasses, dont les algues se nourrissent des déchets organiques pleins de nutriments (excréments, restes de poissons etc…).
Cet écosystème complexe aussi riche que surprenant est constamment étudié par des scientifiques de la Caraïbe entière et un projet inédit émerge depuis 2019 : celui de faire de la mer originelle des sargasses (située au large des Bermudes et de la Floride) la première aire marine protégée en haute mer. Les sargasses si nocives lorsqu’elles s’amassent près des littoraux ou s’échouent, sont en haute mer un véritable vivier, un habitat marin des plus dynamiques que l’on puisse imaginer. En 2014 déjà, les gouvernements des Açores, de Monaco, du Royaume-Unis, des États-Unis et des Bermudes ont signé une déclaration commune les engageant à la conservation de la Mer des Sargasses. L’accord, signé à Hamilton, capitale des Bermudes, fait partie de « l’Alliance de la Mer des Sargasses » et a été mené par les Bermudes et géré par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Les
représentants des gouvernements de la Suède, des îles Tuks et Caïques, des îles Vierges Britanniques, des Pays-Bas, des Bahamas et de l’Afrique du Sud ont par ailleurs exprimé leur soutien à la déclaration ainsi que cinq organisations internationales (dont la Convention sur les espèces migratrices ou les commissions d’Oslo et de Paris).
Une récolte nécessaire mais non sans risques
La gestion des algues est complexe, la préservation de la biodiversité que les radeaux d’algues attirent doit être assurée mais dans le même temps, ceux qui s’échouent doivent être traités avant que leur impact ne soit trop important. Les initiatives de ramassage sont nombreuses et organisées pour la plupart en collaboration avec les institutions mais celles-ci représentent à leur tour un risque pour les littoraux et les milieux sensibles.
En effet, les engins mécaniques en allant et venant pendant les ramassages peuvent accélérer le tassement des sols et favoriser leur érosion lorsque les techniques, mal adaptées, accentuent le prélèvement du sable, parfois en grande quantité, en même temps que les sargasses échouées.
Les sites de stockages posent aussi problème. Il est recommandé par les autorités internationales de stocker les algues sur une épaisseur de 10 centimètres pour éviter les trop grandes quantités d’hydrogène sulfuré, et les jus de fermentation chargés en cadmium, arsenic non organique et en métaux lourds, peuvent polluer les sols. Les sites de stockage sécurisés sont peu nombreux, les sargasses récoltées sont souvent laissées sur des sites d’arrière-plage et parfois à proximité de zones environnementales fragiles voire d’habitations. Or au vu de la quantité d’algues parfois récoltées, il est souvent impossible de respecter cette prérogative.
En 2019 par exemple à proximité de la commune de Sainte-Marie en Martinique, les sargasses ont été stockées à proximité de mangroves, pourtant lieux de reproduction et de vie de faune aquatique, mangroves qui ont été durablement impactées par les jus de fermentation.
Sources
Science et Avenir
Guadeloupe-parcnational.fr
VertigoLab
Martinique2030.com
Geo.fr
National Geographic
Institut Océanographique Harbor Branch – Université Florida Atlantic
Pôle Relai – zones humides tropicales
Interreg Caraïbes
El Diario Libre
Universidad Nacional Autonoma de Mexico
Guadeloupe la 1ère
France 24