Fiche 10 : Les impacts sur l’économie
Des situations similaires dans tous les pays de la Caraïbe
Qu’il s’agisse du golfe du Mexique, de la côte sud-est des États-Unis, ou des petites et grandes Antilles, c’est tout l’arc caribéen qui est concerné par les échouages de sargasses et dont les économies liées au tourisme et à la pêche sont impactées. Pour cause, lors des grands échouages d’algues, les plages peuvent être impraticables et il en est de même pour les activités marines, les restaurants de bord de mer enregistrent des records d’absence de clients, les hôtels sont désertés et les pêcheurs restent à terre. En Martinique et en Guadeloupe, les pertes économiques sont évaluées à 6 millions d’euros en 2018.
Une menace supplémentaire, alors que la Caraïbe fait déjà face à une situation économique vulnérable liée aux aléas climatiques, mais le potentiel développement des économies vertes qui sont liées aux sargasses impliquent de nombreux investissement de la part des acteurs locaux.
Les riverains revoient leurs budgets
Les premiers touchés par les échouages de sargasses sont les habitants des zones très exposées. Les risques sont évidemment sanitaires, puisque les expositions prolongées à l’hydrogène sulfuré, gaz neurotoxique, provoquent de nombreux symptômes (irritations, développement de maladies bronchiques chroniques, maux de têtes, nausées etc…), mais les conséquences se mesurent aussi dans les portefeuilles. Pour cause, l’hydrogène sulfuré, toujours le principal facteur mis en cause et en plus d’être un gaz neurotoxique, est un gaz corrosif qui ronge tout ou en partie ce qui est métallique. Des pièces de monnaie à l’électroménager, en passant par les véhicules et les systèmes de climatisation, les composants métalliques ne tiennent pas longtemps face à des gaz qui peuvent être présents durablement si les algues ne sont pas récoltées et stockées loin des zones habitées.
En Martinique, un projet financé par l’Agence Nationale de la Recherche en partenariat avec la Collectivité Territoriale de Martinique vise à apporter des solutions techniques et juridiques à la corrosion des matériaux métalliques depuis 2021, pour une meilleure prise en charge des dommages matériels liés aux sargasses. Un projet prévu sur 3 ans et qui comporte 3 axes de recherche : la corrosion atmosphérique, la corrosion marine et l’approche juridique de la dégradation accélérée des matériaux par corrosion. Des capteurs ont ainsi été installés sur toutes les zones exposées, qui permettent de mesurer les quantités d’hydrogène sulfuré et d’ammoniac ainsi que la teneur en sel des retombées atmosphériques. Il n’existe cependant à ce jour pas de solution concrète pour pallier le problème, en Martinique comme ailleurs.
Des riverains sont également touchés par une dévaluation du foncier occasionnée par les odeurs nauséabondes, celles-ci impliquent également une migration de certains riverains encore invisible et que les collectivités commencent à peine à recenser.
En 2019 au Mexique, l’armée au secours du tourisme
À échouages importants des mesures importantes. En 2019 sur les côtes mexicaines de l’état du Quintana Roo (dont les plages sont mondialement célèbres : Cancún, Puerto Morelos ou las Islas Mujeres), les hélicoptères et les navires de la marine militaire mexicaine sont dépêchés sur place en reconnaissance pour repérer et stopper les radeaux d’algues quand les barrages installés à la hâte ne permettaient pas de protéger les plages.
Deux visions s’affrontent dans le pays puisque pour le gouvernement de l’état du Quintana Roo et le secteur touristique, les sargasses sont une catastrophe économique et sanitaire alors que pour le Président et le gouvernement fédéral, elles représentent un risque mineur.
Mais les chiffres parlent d’eux-mêmes : en moyenne, l’on comptabilise 2,5 % de baisse de la fréquentation touristique entre janvier et septembre en 2019 par rapport à 2018.
Pourtant le tourisme représentait 1 541 milliards de pesos en 2018 (81 milliards d’euros) soit 8,7 % du PIB (Produit Intérieur Brut), le troisième secteur économique du pays, un secteur majeur et essentiel.
Partout dans la Caraïbe, les restaurateurs en bord de mer subissent de plein fouet la fuite des touristes à cause des gaz de décomposition émis par les algues, et peuvent ne pas enregistrer un seul couvert pendant plusieurs jours. Les hôtels ne sont pas en reste, devant parfois fermer temporairement leurs établissements, les loueurs de bateaux de plaisance, les clubs de plongée et les autres loueurs du bord de mer (jet-ski, canoé, planche à voile etc…) sont autant de professionnels impactés.
Dans les Antilles françaises et en Guadeloupe notamment l’on compte deux licenciements directement liés aux sargasses, opérés par un hôtelier et un restaurateur en raison des baisses de fréquentation en 2018. Si ces mesures peuvent sembler anecdotiques au vu de l’ampleur du phénomène et du nombre de professionnels touchés, il s’agit en réalité de la partie émergée de l’iceberg puisque c’est bien toute l’économie liée à la mer ou aux plages qui est touchée. Toujours en Guadeloupe, le préjudice estimé en 2018 s’élevait à 5 millions d’euros, dont 67 200€ pour les seuls restaurateurs, alors même que très peu sont assurés pour les dommages liés aux sargassess.
Partout, les opérations conjointes d’installations de barrages déviants ou bloquants (solutions privilégiées), de nettoyage des plages ou de prévention des échouages se multiplient, et si les opérations sont chères (une journée de nettoyage peut se chiffrer jusqu’à 6000€ pour une petite commune), elles sont primordiales pour le tourisme de la Caraïbe, qui risque de souffrir du syndrome de la plage sale accélérant la baisse de fréquentation, alors que les quantités de sargasses en mer augmentent d’années en années.
Les impacts sur la pêche et les voies maritimes
Les impacts économiques se traduisent donc par une réduction de l’activité touristique mais aussi par une entrave importante à la pêche artisanale et au transport maritime. En Haïti, les pêcheurs qui contribuent à la vie économique et sociale du pays sont handicapés par les échouages réguliers et massifs de sargasses. Aussi, le service Maritime et de Navigation d’Haïti s’organise pour identifier les lieux d’échouages et les zones où la navigation peut être dangereuse pour les marins qui prennent la mer.
Depuis septembre 2019 l’Institut Caribéen des Ressources Naturelles basé à Trinité-et-Tobago a travaillé de concert avec d’autres organismes liés à la pêche ou de recherche (Université des Antilles, Réseau d’Organisation des Pêcheurs de la Caraïbe) mais surtout avec les autorités maritimes d’Antigua et Barbuda, de la Barbade, du Belize, de la Guyane, de la Jamaïque, de Sainte-Lucie et de Saint-Vincent-les-Grenadines pour mettre en place le développement d’une intendance consacrée aux écosystèmes et aux moyens de subsistance de la pêche artisanale dans la Caraïbe.
L’objectif de ce projet « StewardFish » entre-autres porté par les Nations Unies et qui s’est achevé en avril 2022, est de donner aux pêcheurs et sur toute la chaîne de valeur de la pêche, le moyen de s’engager dans la gestion des ressources et de leur apporter un soutien institutionnel et financier, en plus de leur apporter un soutien matériel face aux invasions de sargasses.
Le secteur de la pêche reste durablement impacté par l’impossibilité de sortie en mer pour de nombreux marins (en moyenne 22 jours d’immobilisation en Martinique et en Guadeloupe).
Les sargasses et le développement des économies vertes
L’économie verte qui constitue un levier du développement durable se base sur plusieurs facteurs à savoir : la gestion des ressources naturelles et énergétiques, et la protection de l’environnement notamment. Dans les territoires ultramarins français, les pistes de valorisation des sargasses peuvent être intégrées dans cette économie, et les enjeux que cela soulève sont majeurs : la valorisation des sargasses en biogaz (cf fiche « la valorisation des sargasses au service du développement durable ») peut par exemple constituer une nouvelle ressource propre aux territoires sujets aux échouages, bien qu’il ne s’agisse pas d’une ressource illimitée dans la mesure où les arrivages de sargasses sont irréguliers. Aussi, si ces voies s’éclaircissent avec le temps et les recherches, beaucoup d’aspects négatifs causés par les sargasses restent en attentes de solutions.
Une étude de l’Ifop de 2018 confirmait pour l’Association Chimie du Végétal que 87% des français disent avoir une bonne image des produits biosourcés. Le marché du compost à base de sargasse est en forte expansion dans toute la Caraïbe par exemple (cf fiche « valorisation des sargasses : agriculture, agroalimentaire et cosmétique »). Autant d’éléments qui poussent les acteurs locaux et internationaux à investir dans les voies de valorisation des sargasses.
Sources
BBVA Group
Martinique2030.com
Outremers 360
France-Antilles
Gobierno de Mexico
Agence Nationale de la Recherche
Collectivité Territoriale de Martinique
Nations Unies
Institut Caribéen des Ressources Naturelles
Caribbean Regional Fisheries Mechanism
CANARI
GIEC
Institut d’Émission des Départements d’Outre-Mer – Banque de France
France 24
Sciencedirect.com